La route et ses bas-côté. Imaginaire des lieux autoroutiers liminaires

Élément fondateur de l’identité nord-américaine, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la route a vu son importance s’accroître sans cesse. Si le livre On the Road, de l’écrivain américain d’origine francophone Jack Kerouac donne voix et corps aux inquiétudes et rêves d’une génération entière d’américains, il marque aussi le renouveau d’un genre littéraire inauguré en 1907 par Jack London : le roman de la route, lieu privilégié pour l’exploration du rapport entre êtres humains et société, souvent perçu comme conflictuel. Les individus qui se mettent sur la route ont tendance à être alors représentés comme marginalisés, en quête d’une identité plus authentique ou d’un espace de liberté absolue.

Reprenant des figures et des mythologies qui étaient jadis l’apanage de l’épopée nord-américaine de la conquête du Far West, des oeuvres littéraires et des films américains et canadiens font de la route un sujet artistique majeur. Des livres tels que Zen and the Art of Motorcycle Maintenance et Blue Highways aux États-Unis, pour ne nommer qu’eux, ou À Vancouver sur le pouce, La route d’Altamont, Le voyageur distrait et Le désert mauve au Canada ; ou encore des films comme Easy Rider, Five Easy Pieces, Paris, Texas ont contribué de manière décisive à créer et à façonner un puissant imaginaire de la route qui continue d’exercer son pouvoir de fascination  : en témoigne le succès des différentes versions de Into the Wild: le livre de Jon Krakauer, l’adaptation en film par Sean Penn, et enfin de la bande sonore originale du film par Eddie Vedder.

D’abord genre littéraire mineur, le roman de la route connaît au cours des années 1980 un essor foudroyant, contribuant certes à sa fortune, mais aussi à une stabilisation de son identité et à sa conséquente institutionnalisation. En réaction à sa popularisation, un bon nombre d’écrivain.e.s et de réalisateur.trice.s commencent à ressentir le besoin d’un retour aux origines contre-culturelles du voyage sur la route. Dans cette optique, des écrivain.e.s comme Julio Cortazar et Carol Dunlop, avec Les Autonautes de la cosmoroute, racontent un voyage sur l’autoroute Paris-Marseille par le biais de l’exploration littéraire de ses aires de repos ; d’autres, comme J. G. Ballard ou Cormac McCarthy, transforment la route et ses éléments en dystopies post-apocalyptiques et science-fictionnel ; enfin, des oeuvres comme le roman Baise-moi de Virginie Despentes et son adaptation cinématographique, ainsi que les films Thelma et Louise, Monster et TransAmerica questionnent l’imaginaire masculin associé au voyage sur la route.

En mettant en scène des femmes qui se l’approprient et le détournent, ces oeuvres ouvrent notamment une perspective queer sur l’imaginaire routier. Le colloque « La route et ses bas-côtés » a l’ambition de prolonger et approfondir la réflexion sur cet imaginaire autre. Comment la littérature se confronte-t-elle aux marges et frontières routières aujourd’hui ? Comment penser les enjeux identitaires contemporains, au sens large, du voyage sur la route ? Quel est l’impact de la pensée féministe récente dans la conception d’une expérience qui voit, traditionnellement, les hommes comme protagonistes ? Comment le voyage autoroutier permet-il aujourd’hui une expérience de l’altérité qui ne soit pas colonisatrice, notamment dans le territoire nord-américain bâti sur l’effacement — physique et culturel — des communautés autochtones ? Comment les théories queers, en ce qu’elles « provoquent une incessante transgression (au sens géographique) des frontières » doivent-elles être pensée par rapport aux espaces liminaires? Comment les technologies et des services numériques — géolocalisation, Google Maps, Google Street View, Expedia, etc. — changent-elles notre expérience de l’espace?

Le programme détaillé est disponible en ligne : http://route.ecrituresnumeriques.ca/programme/

Le colloque aura lieu via la plateforme Jitsi: https://jitsi.iro.umontreal.ca/colloqueRouteLiminaire2020

Ce contenu a été mis à jour le 6 décembre 2020 à 17 h 19 min.